Ferdinan

Ou le récit d’un convoyage de bateau de la côte varoise pour la Croatie

Journal De Bord

MAR

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Vendredi 04 Mars 2016

Journée de départ : derniers préparatifs au port de la Seyne sur Mer. Voilà plusieurs jours que nous attendons une ouverture météo qui ne vient pas… Départ 18H00, mer agitée, 1,00 à 2,00 mètres de houle, vent de secteur Sud-Ouest/Sud, 18/20 nœuds, visibilité bonne, 11 degrés.
La météo marine annonce un avis de Grand Frais : cap sur l’île de Porquerolles. Philippe, le capitaine, avisera de là-bas le prochain cap à suivre, ou encore attendre à quai… Arrivons en début de nuit à Porquerolles : direction le bar du port, chez Roland, puis dîner à bord…

MAR

05

Samedi 05 Mars 2016

Avons passé notre première nuit à bord, stationné à quai, à côté de la pompe à essence. Décision prise en début de matinée de prendre le large malgré le BMS (Bulletin Metéo Spécial) émis sur le canal 64 par le Cross Med.
Conditions attendues : Avis de Grand Frais, mer agitée, vent de Sud-Ouest fraîchissant de 6 à 7 Beaufort, rafales à 8 Beaufort, houle de 2 à 3 mètres, 12 degrés. Tempête annoncée au Cap Corse.
Le catamaran de 12 mètres, un Lipari 41, Fontaine Pageot, bien que tout équipé pour la croisière « pépère », doit être apprêter pour affronter de sérieuses conditions de mer. Calage de la vaisselle, libération du pont de tout élément susceptible de passer par dessus bord, mis à l’abri et fixation de tout le superflu.
Départ de Porquerolles à 11h00. D’abord à couvert, nous retrouvons vite en gagnant le large les conditions annoncées. Malade en fin d’après-midi, et ce jusqu’au lendemain…
Amarinage difficile : je vomis tout ce que j’ai dans l’estomac et même plus. Soupe chaude au menu du soir, qui ne passe pas. Je dors tout habillé en vêtements de quart et souffre le martyre…stomacal.
Bref, mauvaise nuit, épuisante…mais quelle mer en furie !

MAR

06

Dimanche 06 Mars 2016

Rallions les côtes corses au petit matin après 20H00 de traversée. La mer est encore agitée et le vent fort. Philippe décide de caper vers Bonifacio et ses « bouches » réputées pour ses courants forts. Il fait froid et gris et nous passons une partie de la journée à longer la côte Ouest de l’île, qui demeure de toute beauté. Passés les îles Lavezzi, nous retrouvons la pleine mer. Cuisinons en fin d’après-midi de bonnes pommes de terre à l’oignon cuites dans la graisse de canard confit qui les accompagne. Après mon quart de 00h30 à 3h30, je rejoins ma cabine pour profiter d’un moment de sommeil réparateur. Me voilà amariné…

MAR

07

Lundi 07 Mars 2016

Réveil le matin au milieu du désert bleu. Aucune côte en vue…
Le vent est en baisse, inconstant, oscillant entre 15 et 25 nœuds. La mer reste agitée avec des creux de 1 à 2 mètres. Les premiers dauphins viennent taquiner l’étrave du bateau et, comme à chaque fois à leur contact, je retrouve mon sourire d’enfant. Dîner : Poulet au curry.
Tour de quart de 23h30 à 4h30 du matin.
Belle nuit : 12 nœuds de vent constant, la mer se calme enfin et je n’ai pas sommeil…
J’aime ce tronçon de mer : les dauphins viennent à plusieurs reprises jouer entre les coques du Lipari, puis repartent, on ne sait jamais trop pourquoi… Des phytoplanctons se dévoilent dans la nuit noire illuminant d’une lumière verte fluorescente le sillage bouillonnant des safrans.

MAR

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Mardi 08 Mars 2016

Maintien de cap sur les îles Eoliennes. Véritable phare de la Méditerranée, le Stromboli arborant sa grande fumerole blanche est en vue au matin. Sa présence marque la fin du premier désert bleu.
La mer est calme, Température de 12/14 degrés, nous sommes toutes voiles dehors et le soleil nous fait grâce de sa présence : l’occasion de prendre une bonne douche et de se changer.
Le capitaine prévoit de rallier le détroit de Messine qui sépare l’Italie de la Sicile entre 14H00 et 15h00.
Plein de carburant effectué, en face de Messine, à Reggio di Calabria et court passage à terre pour déguster une immense pizza et s’enquiller une rasade de bon vin italien. Reprenons la mer à 16H00.
Au menu du soir, tartines de chèvre chaud avec du pain frais acheté à terre puis c’est mon tour de quart de 21H00 à 00H40. Mer calme, dauphins, pas de vent, ciel dégagé.

MAR

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Mercredi 09 Mars 2016

Grosse nuit de sommeil : Réveil 8H15. Douche, shampoing, le temps est couvert au matin, la mer est calme et le vent de Nord- Ouest tombe.
On avance aux moteurs, ce qui n’empêche pas des groupes de dauphins de nous rendre visite à plusieurs reprises dans la journée : sourire garanti à chaque fois.
Nous traversons à présent un deuxième désert bleu, au large du creux de la « botte » italienne. J’observe plein de débris plastiques ça et là, tout autour du bateau, et mesure avec dégout, la réalité de ce monde et toute sa pollution. Je repère, flottant à la surface, une petite tortue, entravée à la tête par un lambeau de filet de pêche aussi grand qu’elle…les boules…j’en avise Philippe et le capitaine décide sur-le-champ de rebrousser chemin pour essayer de libérer l’animal de ce piège, tristement humain.
Le Lipari vire sec et reprend chemin arrière…nous scrutons l’eau avec Jérôme, le second équipier…autant chercher une épingle dans une botte de foin… en vain…on aura essayé…putain d’humains…
Tour de quart de 3H00 à 6H00 du matin.
Bateau très chahuté, vent de secteur Nord-Ouest, 20/22 nœuds tombant au matin.
A tribord puis bâbord aussi, des orages illuminent la nuit noire à grands coups d’éclairs. Sommes cernés par la pluie, croisons de gros bâtiments. Pendant toute la nuit, une alarme piaille à l’intérieur du bateau : la pompe de cale tribord signale une fuite d’eau au niveau du chauffe-eau…rien d’alarmant pour autant.

MAR

10

Jeudi 10 Mars 2016

Vers 11H00, le vent reprend des tours et c’est tant mieux pour avancer face à la houle, petite et saccadée, que nous prenons de front. Patates/ saucisses au déjeuner, la mer se calme dans l’après-midi et la pluie arrive en début de soirée. Apéro, pâtes carbo/courgettes au dîner.
Tour de quart de 0h50 à 4H30.
Une épaisse couche de nuages couvre toute la voûte étoilée et la nuit revêt son noir le plus profond.
Mer un peu agitée, température clémente, 18/20 nœuds de Sud-Ouest tombant au matin.
Dernier tour de quart avant l’arrivée prévue à Split le lendemain. Seul éveillé, à faire le guet, je pense à mon atelier, au travail engagé depuis plus d’un an, à la presqu’île de Giens, terre à la fois paradisiaque et maudite, terre d’oisiveté et de folie… à Jean-Luc Godard et son film « Pierrot le Fou »… tourné pour une large part sur tout le secteur de la Presqu’île.
Et Jean-Paul Belmondo de rappeler

« ….Non ! Je m’appelle Ferdinand… »


« Ferdinand », je me dénommerai donc, autrement que Pierre, ce Pierrot le Fou, « travailleur de l’inutile », qui compose avec les bois flottés, les bois d’épave… et puis ce sera « Ferdinan » sans le dernier D, parce que j’ai jeté mon dernier Dé…
Sourire en coin, je rejoins ma cabine en réveillant Philippe qui a le prochain tour de quart.
Cette nuit noire du 10 Mars 2016, entre l’Italie, passé la pointe de sa botte, et les cotes albanaises qui se dessinent à la faible lueur de quelques phares lointains, Ferdinan est né.

MAR

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Vendredi 11 Mars 2016

Longeons en milieu de matinée la côte Croate et nous faufilons dans le chapelet de petites îles qui la compose. Le temps est gris et frais, le vent et la mer sont calmes. Split est en vue et nous rallions le port en tout début d’après-midi. Le convoyage du Lipari 41 s’achève ici.
Encore deux nuits à bord, à quai, en Croatie à attendre ce dimanche 13 Mars au soir et prendre le ferry qui nous ramène, à Ancône en Italie. Nuit passée à dormir sur la banquette en sky dans la salle de restauration de l’immense bateau. Suivent ensuite quinze heures de train avec changement en gare de Milan pour enfin gagner la gare de Toulon et rejoindre mon atelier.

C’est la fin d’un beau voyage et la poursuite de mon aventure.